Les Vierges médiévales des Pyrénées-Orientales. Une question d’usage des bois
Le choix des bois dans la réalisation des Vierges médiévales des Pyrénées- Orientales
Un premier survol de l’historiographie des Vierges des Pyrénées-Orientales considérées comme « Vierges noires » permet de mettre en évidence les avis divergents quant à l’existence supposée de ces sculptures en Catalogne du Nord. Tandis que certains auteurs cherchent les causes du noircissement dans l’ésotérisme, d’autres s’interrogent sur les causes matérielles de ce qu’ils considèrent comme une altération de l’apparence originelle. Profitant des quelques assertions techniques quant aux essences de bois qui constituent ces Vierges « noires », nous souhaitons, au travers de ces quelques pages, proposer une réflexion quant aux usages des bois dans la production de la sculpture mariale au nord de la Catalogne.
Si l’étude technique d’une sculpture est envisagée habituellement sur le plan de la mise en oeuvre du bois jusqu’à la réalisation de la polychromie, elle peut aussi être considérée sous l’angle d’une étude anthropologique et socio-économique de la forêt. Parce que le bois qui constitue ces Vierges est issu d’un écosystème administré selon des coutumes et des prescriptions socio-économiques complexes, les questions d’usage de la forêt durant le bas Moyen Âge, mais également la charge symbolique que véhiculent l’arbre et la forêt à cette même période sont autant de réflexions qui sont susceptibles d’apporter un regard neuf sur la production d’oeuvres en bois sculpté. Il faut toutefois préciser que n’ayant aucune formation en archéobotanique, notre point de vue consistera essentiellement à proposer quelques pistes de recherches, pour une réflexion interdisciplinaire encore inexplorée au sein de l’histoire de l’art.
Jusqu’à présent, l’historiographie des Vierges des Pyrénées-Orientales considère beaucoup de ces statues comme une production due à quelques artistes isolés établis en montagne ou au sein d’ateliers monastiques, dont les qualités de sculpteur laissent généralement à désirer et qui s’inspirent plus ou moins habilement de modèles dits « célèbres ». Ajoutons qu’aucun auteur ne se risque à argumenter quant aux raisons formelles qui érigent telle ou telle Vierge en modèle. Notre recherche doctorale a permis de démontrer que les Vierges à l’Enfant des Pyrénées-Orientales sont produites par quelques ateliers – peu nombreux en vérité – qui s’échelonnent de la seconde moitié du XIIe siècle à la fin du XIVe siècle. Chacun de ces ateliers utilise, indifféremment de l’espace-temps, soit une même essence de bois, soit des essences différentes pour produire une statuaire mariale dérivée d’un modèle propre à chacun d’eux. Bien que l’usage des essences ne puisse pas être réparti chronologiquement, il semble que le saule soit l’essence privilégiée de la seconde moitié du XIIe siècle et que le pin n’ait pas été utilisé endéans le XIVe siècle. À l’inverse, le peuplier a été indifféremment employé tout au long de ces deux à trois siècles.
Outre la réévaluation de la chronologie de la statuaire mariale par conjugaison de l’étude technique avec une analyse formelle systématique, notre thèse attire également l’attention sur des connexions interdisciplinaires qui restent à entreprendre et qui pourraient peut-être offrir quelques éléments de réponse face aux questions techniques qui se posent. Les questions d’usage de la forêt entre le XIIe et le XIVe siècle sont autant de réflexions qui sont susceptibles d’apporter un regard neuf sur la production d’oeuvres en bois sculpté, par exemple concernant l’organisation et l’approvisionnement des ateliers de sculpture. Par conséquent, cette question du commerce du bois peut être étayée par l’analyse stylistique d’un corpus d’oeuvres.
[CVH]CVH ds BROUQUET S., Sedes Sapientiae, Toulouse, 2016
Texte publié dans BROUQUET Sophie (dir.), Sedes Sapientiae. Vierges noires, culte marial et pèlerinages en France méridionale, Toulouse, 2016, p. 47-57.