RESTAURATION DE SCULPTURES EN BOIS POLYCHROME
Une sculpture en bois polychromé se compose généralement d'une couche colorée de stratification plus ou moins complexe, appliquée sur un support en bois. Cette mise en oeuvre est, en apparence, fort similaire à celle d'une peinture sur panneau. Et pourtant... C'est oublier la particularité de la sculpture en bois polychromé. En effet, à la différence des arts en deux dimensions, elle présente très souvent une complémentarité subtile entre la forme sculptée et la polychromie qui la recouvre. Les boucles de cheveux sculptées se termineront sur le front et sur les tempes en de délicates boucles peintes
tandis que le discret relief d'une paupière pourra être souligné d'un fin trait brun sombre ou d'un léger glacis rosé.
Les visages aujourd'hui muets de certaines sculptures nous font prendre la mesure de l'importance de la polychromie en tant qu'expression de la sculpture.
De même, la mise en oeuvre de techniques parfois complexes a permis au peintre polychromeur de tendre vers un réalisme parfois surprenant. L'inclusion de billes de verre donne aux regards de certaines sculpture une vivacité étonnante
tandis que le polissage des carnations à l'aide de vessie de porc permet de donner aux visages un éclat de porcelaine. Le relief des orfrois des vêtements peut être réalisé notamment par de la préparation posée à chaud en épaisseur (décor dit a pastiglia), ou en insérant des verroteries au creux de la couche de préparation.
La conjonction de différentes techniques de dorure et de décors peints permet également de rendre la richesse et l'éclat de précieuses étoffes.
Toutes ces subtilités de rendus des matières se voient aisément lorsque la sculpture a conservé sa polychromie d'origine de manière apparente. Cette situation est malheureusement devenue une exception et bon nombre de sculptures ont été, au fil des siècles, soit recouvertes de nombreuses couches de couleur, soit complètement décapées.
Plusieurs raisons expliquent ces transformations. Le XVIIIe siècle préférait la monochromie blanche imitant le marbre aux chatoyants effets de couleurs des siècles précédents. Beaucoup de sculptures ont alors été recouvertes de peinture blanche ou légèrement grisâtre afin d'imiter la pierre. Quant au XIXe siècle, le goût prononcé pour les matériaux apparents ont causé la perte irréversible de nombreuses polychromies originelles pour faire réapparaître le bois. Dans le meilleur des cas, ces mises au goût du jour ont été réalisées par la pose d'une nouvelle couche de couleur recouvrant la polychromie existante.
C'est l'étude stratigraphique de la polychromie qui va permettre de redécouvrir l'histoire matérielle de la sculpture. Une exploration indirecte de l'évolution des goûts... Outre l'intérêt historique de la connaissance de l'oeuvre, cette étude permet également au conservateur-restaurateur d'induire son protocole de traitement en fonction de la mise en oeuvre de la couche originelle.
Etudes stratigraphiques
L'étude stratigraphique ne consiste pas à sonder au hasard chaque partie de la sculpture, à la recherche de la couche originelle. Il convient au contraire d'établir une cohérence historique entre les strates de chacune des parties de l'oeuvre et l'ensemble de la composition. En cas de repeints partiels, le nombre de couches peut varier d'un endroit à l'autre d'une même sculpture.
Réalisée au scalpel sous microscope binoculaire, l'étude procède au dégagement des couches successives de la polychromie sur une surface réduite et dans des zones discrètes, voire autour des lacunes existantes. Ce dégagement progressif prend la forme d'une échelle stratigraphique.
L'ensemble des résultats de chaque sondage sera ensuite réuni sous forme d'un tableau de synthèse ; seule méthode pour formuler une reconstitution de la polychromie originelle et de l'évolution chromatique d'une sculpture.
En pratique...
Diagnostic
Cette première étape consiste à étudier l'identité de l’œuvre et les matériaux qui la constituent, l'état de conservation ainsi que les causes des altérations. Cette première étape peut être complétée par la réalisation d'une tomographie qui permet d'étudier la structure interne de l’œuvre (éléments rapportés, étendue des attaques d'insectes xylophages, etc).
La seconde étape établit un protocole de traitement sur base d'une étude matérielle plus approfondie si l'intérêt historique et artistique de l’œuvre le demande.
Le traitement de conservation curative et de restauration de subdivise en deux étapes :
Le traitement du bois : vérification des assemblages, collage, bouchage, traitement des structures métalliques éventuelles, révision de l'assise de l’œuvre.
Le traitement de la polychromie : fixage, dépoussiérage, nettoyage, élimination des couches de protection oxydées ou disgracieuses, traitements des anciennes interventions, masticages éventuels des lacunes, retouches.
Documentation
Chaque traitement est accompagné d'un dossier qui comprend une étude de l’œuvre, l'explication du traitement et une documentation photographique.
Quelques exemples de restaurations
Ecole catalane, Vierge à l'Enfant –Début XIIIe siècle – Collection privée
Jean Delcour, Allégories de la Paix et de la Renommée, 1685. Liège, Palais provincial.
Dossier photo Delcour dossier Ttt
Jacques Vivroux (1703-1777), saint Alexis. Liège, Chapelle Saint-Roch.
École catalane, Vierge à l'Enfant, autour de 1340. Serdinya, église paroissiale Saint-Côme et Saint-Damien. Étude et restauration effectuées en 2008 sous la direction de Jean-Bernard Mathon – Centre de Conservation et de de Restauration du Patrimoine des Pyrénées-Orientales.
Maître du Calvaire de Lesve, Christ en croix, 1520 – 1530. Lesve, chapelle du cimetière paroissial. Etude et traitement de restauration effectuée à l'Institut Royal du Patrimoine Artistique – Bruxelles de septembre à décembre 2015.
Ce qu'il ne faut pas faire...
⁃ Décaper, repeindre ou redorer entièrement une sculpture. Bien que la mise en couleur soit souvent effectuée de bonne foi afin de conserver à la sculpture une image présentable, cette opération dénature – voire détruit – complètement la sculpture et sa polychromie.
⁃ Utiliser des produits inadaptés. Une sculpture en bois polychrome n'est pas une cage d'escalier ou l'armoire de grand-maman. En cas d'infestation par des insectes xylophages, les produits domestiques utilisés habituellement peuvent causer des altérations irréversibles de la polychromie.
⁃ Faire tomber les morceaux qui n'adhèrent plus à la surface. Le dommage est double. Premièrement, il y a une perte de fragments qui font partie intégrante de l’œuvre. Deuxièmement, le coût du traitement sera plus conséquent puisque les manques sont quantitativement plus importants.
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